Devant la montée en puissance du lobby écologiste, les industriels cherchent de nouveaux procédés plus respectueux de l’environnement. L’utilisation des fluides supercritiques permet de multiples applications dans le domaine de l’alimentaire, mais aussi des cosmétiques et de la pharmacie. Tour d’horizon.
Décaféiner le café, ôter le goût de bouchon du liège, augmenter le biodisponibilité du calcium dans le lait, imprégner un film d’un antibiotique ou encore faciliter la décomposition des matières plastique. Les possibilités d’application des fluides supercritiques sont nombreuses et les domaines d’intervention variés. Le 9 février dernier, le CEEI (Centre européen d’entreprise et de l’innovation) de Bourg-en-Bresse a organisé, en partenariat avec l’association IFS (Innovation Fluides Supercritiques), une journée d’information sur ce procédé. Un fluide supercritique n’est pas un type de fluide, mais un état de matière d’un composé chimique entre le liquide et le gazeux. On parle de fluide supercritique lorsqu’un élément chimique est chauffé et comprimé au-delà de son point critique. Le dioxyde de carbone est l’élément le plus utilisé sous sa forme supercritique. Dans cette phase, le CO2 supercritique est aussi dense qu’un liquide et dispose également des propriétés de transport (viscosité, diffusion) proches de celles d’un gaz. « Le CO2 a l’avantage de devenir supercritique à des taux relativement bas, c’est-à-dire à partir d’une température de 31°C et d’une pression de 73 bars. Il peut alors être utilisé comme un solvant permettant de remplacer ou compléter des solvants organiques pour obtenir des produits nouveaux. Son succès auprès des industriels s’explique par ses nombreux avantages. Il est stable, ininflammable, incolore, inodore, non toxique, facilement disponible et peu cher », explique Kévin Pizarro, expert au sein de l’association IFS (Innovation Fluides Supercritiques) qui a animé la journée d’Alimentec sur le sujet.
Extraction de molécule
L’application la plus utilisée dans le monde est l’extraction par CO2 supercritique (CO2 SC). Et l’exemple le plus couramment cité est celui du café décaféiné. De grands groupes industriels sont utilisateurs du procédé à l’instar de Maxwell. Le principe est relativement simple. Des grains de café verts sont placés dans un autoclave, dans lequel circule du CO2 SC. Le CO2 SC se charge alors de caféine. Il ressort de l’autoclave et passe par une vanne de décompression puis dans un séparateur qui aura pour effet de le décharger de ses particules de caféine. Le CO2 SC redevient alors pur et peut ainsi être réinjecté dans le circuit. Ce type d’installation est appelé boucle supercritique. « Le coût d’une telle opération est très intéressant financièrement car le CO2 SC est une matière dont le prix est raisonnable. Sans compter qu’une grande partie du CO2 SC utilisé peut être réutilisé dans le circuit. Dans le cas du café, le procédé est doublement intéressant. D’une part, les grandes capacités de production des industriels permettent d’obtenir un seuil de rentabilité rapide et, d’autre part, la caféine pure ainsi obtenue peut être revendue à d’autres industriels comme PAI ou à l’industrie cosmétique », reprend Kévin Pizarro qui va plus loin : « Le principe est également appliqué à l’industrie du tabac qui enlève la nicotine des cigarettes pour la revendre à des groupes pharmaceutiques qui fabriquent les patchs pour s’arrêter de fumer. » Le principe d’extraction fonctionne donc avec n’importe quel produit. Il peut, par exemple, retirer les caroténoïdes de la carotte, les arômes du poivre, du paprika, du persil, du cumin, de la coriandre, les pigments du paprika, du fenouil, de la betterave, les terpènes (hydrocarbure composant majeur de l’essence de térébenthine ou de la résine) de la grande camomille ou encore les polyphénols du vin, du thé ou des agrumes. Le principe d’extraction par CO2 SC permet aussi d’éliminer un composé indésirable, comme les PCB dans l’huile de poisson, le furo-courmarine dans les essences de citrus ou encore le TCA (trichloroanisoles) des bouchons de liège (lire encadré sur Oeneo).
Une autre des grandes applications couramment utilisées est la micronisation. Ainsi, un principe actif peut être placé dans un autoclave dans lequel passe du CO2 SC qui va se charger de principe actif. Il passe ensuite dans une buse qui va provoquer une détente brutale du produit et permet de former une poudre dont les grains sont de la taille de l’ordre du micron. L’opération permet d’augmenter la biodisponibilité d’un principe actif dans un produit, comme par exemple, le calcium dans un yaourt ou les oméga 3 dans le beurre. Au-delà des aliments fonctionnels, la micronisation peut également être utilisée à des fins cosmétiques ou pharmaceutiques.
Stérilisation à froid
Si l’extraction et la micronisation sont les principales applications des fluides supercritiques, il en existe d’autres tout aussi intéressantes. C’est le cas par exemple de la stérilisation. La technique permet de procé- 1 LE JOURNAL DES FLUIDES mars-avril 2010 N°37 der à une décontamination bactérienne. Elle fonctionne sur la plupart des micro-organismes (bactéries aérobies, anaérobies, certains spores, champignons). Les paramètres principaux sont le temps (entre 20 et 40 minutes) et la température (40 à 80 °C). La décontamination observée peut aller de 3 à 6 log en quelques minutes, avec une pression supérieure à 80 bars. Ainsi les insectes, larves et œufs peuvent être entièrement désinsectisés en 20 minutes par du CO2 à 20 – 30 bars. Le procédé peut, par exemple, être utilisé pour éliminer les insectes dans le riz ou les charançons dans la farine de riz et les céréales. « Ici l’avantage réside dans le temps de traitement beaucoup plus rapide qu’une stérilisation classique et dans le niveau de température assez bas qui permet de ne pas cuire un produit et par conséquent de conserver toutes ses qualités nutritionnelles et organoleptiques », note Kevin Pizzaro.
Imprégnation à cœur
La quatrième application est l’imprégnation. Ainsi, si le fluide supercritique est capable de retirer une molécule d’un produit, il peut également l’y déposer. Dans ce domaine, les possibilités d’application sont très nombreuses. Le CO2 SC permet, par exemple, la dissolution de substance active antibactérienne pour l’imprégnation de polymères et biopolymères poreux. La technique permet une imprégnation à cœur, rapide et homogène. Une des applications concrètes possibles est le traitement des films d’emballage pour une meilleure sécurité alimentaire ou tout simplement pour allonger une date limite de consommation. Certains essais concluants ont été menés sur des biopolymères (alginates, carraghénane…) avec une imprégnation de vitamine C et de co-enzyme Q10. Le système peut également être utilisé pour imprégner du bois au cœur d’un traitement antifongique ou encore pour tanner les peaux sans utiliser d’eau.
Traitement des emballages
Enfin, les fluides supercritiques peuvent être utilisés pour la dégradation des matières. Ainsi, en utilisant de l’eau supercritique, plutôt que du CO2, il se crée une réaction en chaîne qui permet de séparer différentes molécules. En condition supercritique, l’eau inverse ses propriétés : elle précipite les minéraux et devient un solvant de la matière organique et donc une solution de traitement des effluents polluants. Elle permet alors de détruire (d’oxyder totalement) les déchets ultimes des industriels. Cette réaction d’hydrolyse permet de récupérer, dans le cas du PET, l’acide téréphtalique et l’éthylène glycol (utilisé comme anti-gel), avec un temps de réaction très court (30 minutes) et sans additifs (catalyseurs). L’eau supercritique, ne rejette, en fin de processus que du CO2 sous forme gazeuse et de l’eau en phase liquide. La réaction s’autoentretient et est donc moins énergétivore qu’une incinération. Les possibilités d’utilisation de l’état supercritique sont donc très nombreuses, dans le domaine de l’agroalimentaire, de la cosmétique et de la pharmacie. Si pour l’instant cette technologie reste encore assez peu développée en France, elle devrait prendre un nouvel essor dans les années qui viennent sous l’effet de la tendance écologique mais aussi les restrictions toujours plus importantes sur les solvants et les déchets. L’IFS (association pour l’Innovation des Fluides Supercritiques) est là pour aider les entreprises qui souhaitent développer cette technologie. L’association dispose par exemple d’une petite unité pilote qui permet de réaliser des tests d’extraction sur des petites séries.
Supprimer le goût de bouchon dans le vin
La société Oeneo bouchage, dont le siège est à Céret (66), est un des leader mondial des solutions de bouchage en liège. l’entreprise a mis au point avec le CEa de Pierrelatte un bouchon en liège breveté, baptisé Diam. Celui-ci est issu d’un procédé utilisant le CO2 supercritique pour extraire la molécule 2,4,6-trichloro-anisole (tCa) à l’origine des déviations sensorielles du vin, appelées communément « goût de bouchon ». le liège après avoir été transformé en farine séjourne dans un autoclave dans lequel circule du CO2 sC. l’extraction permet de supprimer plus de 150 molécules indésirables, comme le tCa, mais aussi les champignons. la farine est ensuite moulée et cuite à la vapeur pour former un bouchon.
Par Caroline Carvalho,
Article paru dans le journal des fluides n°37, Mars-Avril 2010