Collectif IO-Link : « Nous démocratisons la technologie »

Le 28/04/2020 à 11:01 par La rédaction

Créé il y a près de quatre ans maintenant, le Collectif IO-Link regroupe en France seize sociétés qui travaillent au développement et à la promotion de la technologie IO-Link. Suite à la journée annuelle proposée par le Collectif IO-Link le 4 février dernier, nous nous sommes entretenus avec Thierry Lecoeur, chef de produits Network And Control chez ifm très investi dans cette association de constructeurs.

Thierry Lecoeur, chef de produits network and control chez ifm.

Quel est votre parcours professionnel ?

Thierry Lecoeur : Après avoir fait mes études électroniques à l’École Centrale d’Électronique à Paris, j’ai dans un premier temps travaillé chez Toshiba à Puteaux dans la réparation d’ordinateurs portables. J’ai ensuite intégré la société Harting, spécialisée dans les connecteurs industriels, dans laquelle je suis resté onze ans, en passant d’assistant technique à chef de produits, puis à responsable marketing. À la suite de cette expérience, j’ai travaillé pendant près de dix ans chez Phoenix Contact avec la casquette de chef de produit automation et cybersécurité. Cela fait maintenant un an et demi que j’ai intégré la société ifm, dans le cadre d’une création de poste dédiée à l’automatisme, et essentiellement à l’IO-Link. Dans le monde ifm, je suis la dorsale qui rejoint le niveau bas, les capteurs, vers le niveau haut, les systèmes informatiques. Bien qu’il n’y ait pas de hiérarchie dans le Collectif IO-Link, j’ai à charge de m’en occuper.

Pouvez-vous présenter le Collectif IO-Link ? Quels sont ses objectifs ?

T.L. : Alors que l’IO-Link s’impose de plus en plus comme un standard de communication entre les capteurs et les actionneurs sous les systèmes classiques de bus de terrain, nous avons décidé de réunir les acteurs majeurs dans le domaine afin de promouvoir la technologie et mettre en avant les produits de chaque membre. Ce collectif est ouvert à tous les fabricants, à partir du moment où ils ont des produits IO-Link à proposer. Il est important de préciser que nous ne faisons pas de veille technologique ou de développement de produits. Nous agissons donc en « coopétition » avec les différents offreurs sur le marché, concept situé entre la compétition et la coopération : au lieu que chaque constructeur fasse son travail dans son coin, nous avons décidé de travailler en collaboration, en bonne intelligence, pour démocratiser la technologie. Le Collectif IO-Link mondial, qui est installé en Allemagne et qui regroupe près de deux cents sociétés, va un peu plus loin puisqu’au-delà de participer à la démocratisation de l’IO-Link, il participe à l’évolution du travail normatif et peut même proposer le développement de produits pour les membres qui le souhaitent.

Quelle place occupe aujourd’hui la technologie IO-Link dans les industries françaises ?

T.L. : En termes de parts d’offre, nous sommes aujourd’hui aux alentours de 70 % pour les capteurs, et de 30 % pour les actionneurs. Autrement dit, les actionneurs sont encore moins présents que les capteurs, même si cela commence à se démocratiser, notamment via le Collectif IO-Link. En termes de part de marché, nous pouvons citer l’exemple d’ifm, qui double son chiffre d’affaires concernant l’IO-Link tous les deux ans, hors capteur : cela montre très clairement que le marché est réceptif et que cette technologie a un avenir certain. L’IO-Link offre un premier intérêt, qui est celui de la remontée des informations. Aujourd’hui, dans le cadre de l’Industrie du futur, beaucoup d’industriels commencent à réfléchir ou à mettre en œuvre une usine intelligente. Auparavant, nous avions des capteurs et actionneurs branchés en tout ou rien ou 4-20 mA, et l’intelligence s’arrêtait au niveau des cartes d’entrées-sorties des automatismes. Nous considérons que l’IO-Link est la première brique de l’Industrie 4.0 puisque nous permettons la remontée de l’information. Il s’agit vraiment d’une communication bidirectionnelle entre le processeur et le device. Nous allons pouvoir faire remonter énormément d’informations : le débit, la pression, le totalisateur, tout ce qui a attrait au diagnostic.

N’y a-t-il pas un risque de surinformation ?

T.L. : Aujourd’hui, beaucoup d’industriels cherchent à faire énormément remonter des informations, mais ne savent ensuite pas quoi en faire. Il est important de prendre uniquement ce qui est nécessaire. Le risque est donc de surcharger le développement de l’automatisme, ce qui engendre d’ailleurs des coûts importants. Il est cependant tout à fait possible de décider de cantonner l’automatisme à ce dont l’industriel a besoin pour son process, et d’utiliser un canal annexe, que ce soit sur le même réseau ou sur un réseau dédié, pour remonter des informations nécessaires à d’autres missions : qualité, diagnostic, maintenance préventive, intelligence artificielle, etc. Il s’agit ici de décorréler l’automatisme, et c’est l’une des grandes forces de l’IO-Link. Autrement dit, l’industriel peut rester sur un automatisme traditionnel mais, parallèlement, avec la capacité de faire remonter des informations sur des besoins annexes. Il pourra alors profiter d’une valeur numérique qu’il peut exploiter d’une autre manière qu’avec une carte d’entrée-sortie tout ou rien.

Comment les industriels peuvent-ils optimiser la maintenance préventive avec l’IO-Link ?

T.L. : Nous pouvons dire que la sécurisation de l’information permet une maintenance immédiate. Dans l’IO-Link, il faut distinguer deux types de communications : il y a une communication cyclique générée par le capteur et, en même temps, nous avons systématiquement des informations de diagnostic, chose qui n’est pas possible sur un capteur tout ou rien. Si on prend l’exemple d’un capteur de vanne quart de tour dans l’industrie des liquides utilisé en tout ou rien, l’industriel obtiendra une valeur 0 ou 1, qui l’informera sur l’ouverture ou la fermeture de la vanne, sans bénéficier d’informations supplémentaires. En revanche, avec un capteur IO-Link, la communication est directe avec le microprocesseur : non seulement les valeurs sont garanties, mais on discute également avec le processeur avec une valeur d’angle au degré près. Il serait alors possible d’initier de la maintenance préventive rien qu’en étudiant l’angle. Si à 90 degrés la vanne est fermée, mais que nous appliquons une tolérance de 90 à 92 degrés et de 88 à 90 degrés, et que la valeur obtenue est de 93 degrés, l’opérateur pourrait détecter l’usure d’un joint et donc déclencher une campagne de maintenance ou de suivi de qualité. De la même manière, si la valeur obtenue est de 87 degrés, peut-être qu’un dépôt s’est formé, provoquant potentiellement des fuites. Tout cela n’est rendu possible que grâce à l’IO-Link : en utilisant cette valeur d’angle dans mon programme d’automate, j’ai implémenté à la fois une sécurisation de l’information, mais aussi de la maintenance préventive, sans rien faire d’autre que de lire les données remontées. La technologie IO-Link apporte d’autres avantages, comme celui du paramétrage. Lors du remplacement d’un capteur, il est très simplement possible d’envoyer des informations descendantes pour paramétrer les capteurs. Aussi, lorsqu’il est nécessaire d’adapter la chaîne de production à des types de fluides différents, l’opérateur peut mettre à jour tous ses capteurs en un seul clic. Autre avantage : le câblage. Puisque tout est standardisé, l’industriel peut utiliser un câble M12 traditionnel, qui n’est pas blindé, et mettre sur son réseau toutes les rallonges qu’il souhaite. À titre d’exemple, dans le cadre d’un grand projet en Champagne utilisant l’IO-Link, un industriel a pu économiser 14 kilomètres de câbles.

Y-aurait-il des freins au passage à l’IO-Link dans les usines ?

T.L. : Nous pouvons distinguer deux freins au passage à l’IO-Link. Le premier, c’est l’automatisme par rapport aux habitudes de travail de chaque client. En effet, à la première mise en application, il est nécessaire de changer totalement le paradigme du développement de l’automate. Il y a un travail au démarrage un peu plus complexe, mais une fois mis en œuvre, l’industriel ouvre beaucoup plus de possibilités. C’est notamment dans ce cadre que les fabricants accompagnent au maximum leurs clients, comme en mettant à disposition en ligne des « Startup Packages », avec des programmes et des blocs fonctionnels prêts à l’emploi. Le second frein est lié à la remontée de toutes les valeurs : l’industriel ne sait finalement pas que faire de toutes les informations, et il est donc indispensable de prendre du recul. Il n’est pas indispensable d’utiliser toutes les données immédiatement et, si l’installation est bien conçue au départ, elles restent exploitables a posteriori. L’industriel doit prendre uniquement ce dont il a besoin, et créer, petit à petit, quelque chose de cohérent. Le Collectif IO-Link a pour vocation d’apporter des éclaircissements sur tous ces points.

Que proposez-vous aux industriels pour les accompagner vers l’Industrie 4.0 ?

T.L. : Le Collectif IO-Link propose chaque année deux événements : les membres présents jouent alors le rôle de « coopétiteurs » pour mettre en avant la technologie et montrer aux différents utilisateurs tous les avantages qu’ils peuvent en tirer. Nous organisons une première rencontre aux alentours de février-mars, et une seconde rencontre vers septembre-octobre. Nous avons déjà réalisé ces journées à Lille, Strasbourg, Lyon, Nantes, Bordeaux, et plus récemment à Rennes. Nous souhaitons toujours les organiser dans des lieux où nous ne sommes jamais allés. Nous avions également réalisé une journée sur le salon Global Industrie, mais nous préférons toutefois les journées organisées indépendamment : nous avons les industriels le temps d’une journée, ce qui permet de mieux échanger. La prochaine journée sera organisée au mois d’octobre prochain dans la région parisienne. Concernant le contenu de ces journées, nous proposons le matin une présentation plénière sur les avantages de la technologie et les différentes infrastructures dans lesquelles elle peut s’intégrer. Ensuite, nous proposons une petite exposition, où chaque fabricant propose ses avantages. L’après-midi est consacrée aux workshops de démonstration sur des axes bien définis autour de la technologie. Ces workshops sont animés par deux ou trois fabricants et permettent de mettre en pratique ce qui a été vu durant la matinée.

Sentez-vous que les industriels sont aujourd’hui bien informés sur la technologie ?

T.L. : Lorsque j’ai pris mes fonctions chez ifm, j’ai rapidement participé à mon premier Collectif IO-Link organisé à Strasbourg. Et il y a un an et demi, la majorité des industriels venaient découvrir ce qu’était l’IO-Link et se demandaient ce que cela pouvait être. Aujourd’hui, en échangeant avec différents fabricants, nous nous sommes rendu compte que la question chez les industriels était plutôt de savoir comment l’IO-Link pouvait être mis en œuvre et quels avantages ils pouvaient en tirer dans leurs métiers. Nous avons senti un réel changement de réflexion en passant de la question « Qu’est-ce que l’IO-Link ? » à « Comment puis-je en tirer bénéfice ? ». C’est là que le travail des fabricants commence à se faire ressentir : les industriels s’intéressent à l’IO-Link soit pour une étape de test, soit pour de la production.

Selon vous, quel devrait-être l’avenir de l’IO-Link ces prochaines années ?

T.L. : Je ne parlerai ici que de ma propre vision, avec mon expérience personnelle, et non pas au nom du Collectif IO-Link. Je pense que, d’ici une dizaine d’années, le premier étage de l’IO-Link sera mis en place : aujourd’hui, 90 % des capteurs sont déjà équipés de l’IO-Link, même si les utilisateurs les exploitent en tout ou rien. Au fil du temps, l’infrastructure existera. Selon moi, le réseau supérieur sera un OPCUA avec, si nécessaire, une encapsulation d’un protocole du type Profinet, Ethernet IP ou encore Ethernet TSN.

 

Les membres du collectif IO-Link

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La prochaine journée organisée par le Collectif IO-Link sera organisée le 8 octobre 2020 à Paris.