Les séparations liquides-solides ou SLS, sont impliquées dans le développement de la chimie verte et des procédés durables. Douze principes ont été proposés par P.T. Anastas et J.C. Warner dès 1998 pour décrire les intentions de la chimie verte qui prônent un retour aux ressources non fossiles, aux procédés économes, à la réduction des émissions de CO² et des risques pour les travailleurs. Les séparations liquides-solides ont des atouts pour appliquer presque tous ces principes, mais aussi des limites à leur mise en service. Tout d’abord, elles préviennent la pollution à la source car les SLS traitent le mélange réactionnel au sortir du réacteur, ou les sous-produits pour les concentrer, les recycler et produire moins de résidus. Certaines des SLS n’utilisent pas de produits consommables et évitent le déchet à venir. Pour réduire l’emploi de substances toxiques, de solvants, de produits organiques, les SLS permettent d’éviter l’extraction liquide-liquide avec des solvants, peuvent fractionner les molécules, les substances d’un mélange. Elles sont des séparations douces qui mettent en oeuvre des niveaux de pression faibles et consomment peu d’énergie, contrairement aux évaporations, distillations, extractions aux fluides supercritiques. Pour les SLS, les plus énergivores (centrifugation, nanofiltration, osmose inverse sur membrane de solutions concentrées), des développements techniques limitent cette consommation (échangeur de pression, recyclage de l’énergie de freinage). Les SLS développent aussi des couplages dans des séparations assistées (champ électrique, sonique, thermique, micro-ondes,..) pour simplifier les procédés et augmenter la productivité. Par la diversité de ses technologies, les SLS et les séparations sur membranes peuvent fractionner tous produits biologiques, végétaux, issus des biotechnologiques qu’ils soient solides, sous forme de molécules déjà présentes dans le mélange ou libérées du solide qui les porte. Elles se placent en amont d’opérations de transformation (up-stream) ou en aval pour l’extraction et la purification des composés nobles (down-stream). Diverses machines aux conditions de fonctionnement calées au juste nécessaire pour le procédé industriel et les fonctions à conduire proposent ces technologies : séparations gravitaires, sous vide, sous pression, centrifuges, clarification grossière ou plus poussée, rétention de beaucoup de particules ou de toutes, de quelques ou de toutes les molécules, lavage, déshydratation poussée de la fraction solide. Les séparations liquides-solides ou membranaires sont utilisées pour des réactions catalytiques, couplées au bioréacteur agité pour la bioproduction ou la biodégradation (épuration de l’eau). Avec le milieu biologique plus concentré, la vitesse de réaction est souvent plus forte, ce qui augmente la productivité. Le milieu filtrant peut immobiliser l’enzyme ou le catalyseur. Il devient alors le siège de la réaction et facilite l’extraction des diverses molécules, substrats, produits. Ces opérations de SLS utilisent peu de matières non fossiles hormis les adjuvants de filtration (dérivés d’amidon, de cellulose), qui sont des produits biosourcés, biodégradables et compostables, sans contrainte pour leur dégradation finale. Les SLS développent peu de risques. Les pressions liquides sont faibles (régulièrement moins de 3 à 5 bars, parfois jusqu’à 10 à 30 bars dans un filtrepresse, maximum 60 à 100 bars seulement en osmose inverse d’eau de mer). Les SLS mettent en oeuvre des équipements étanches, confinés, stérilisables ou inertables qui empêchent les fuites, protègent les personnels et contrôlent l’environnement dans les ateliers. Les bases théoriques des SLS ou membranaires, largement diffusées, sont développées dans les moyens expérimentaux. Cela permet de qualifier la productivité et les performances qu’elles peuvent atteindre sans outils industriels, ni mise en oeuvre des essais à grande échelle (bancs d’essais et protocoles normalisés de décantation, de centrifugation, de filtration, de séparation membranaire). Enfin, la démarche pour le choix de la technique de séparation, de la technologie la mieux adaptée et des conditions de fonctionnement pour atteindre l’objectif recherché, s’appuie sur la norme NF X 45-600. Sans disposer d’un système expert détaillé et exhaustif, elle est simple à mener si on dispose de moyens expérimentaux, comme c’est le cas à l’IFTS.
En menant des essais à l’échelle du laboratoire, on qualifie les propriétés physicochimiques intrinsèques du produit réel industriel et les propriétés comportementales de la suspension. Elles renseignent sur les aptitudes du produit à la décantation, la centrifugation, la filtration, la déshydratation mécanique sous pression et enfin un conditionnement chimique qui rend possible une séparation ou l’accélère considérablement. Les données issues de ces tests qualifient la faisabilité d’une séparation et définissent les conditions à mettre en oeuvre pour une opération industrielle (prédimensionnement de la machine et de ses paramètres de fonctionnement). On peut déjà optimiser les conditions de fonctionnement pour maximiser la production, la qualité des fractions produites, réduire les pertes de produits, la consommation d’énergie, de réactifs, d’utilités, et enfin limiter les effluents à épurer, les sous-produits ou déjà envisager leur valorisation. Cependant, certains éléments de la construction et de l’exploitation des équipements de SLS ou membranaires sont contraires aux principes de la chimie verte. En effet, leurs matériaux de construction ou les produits nécessaires (réactifs, floculants, détergents, milieux filtrants) sont rarement biosourcés et renouvelables, mais métalliques, plastiques... Par ailleurs, les procédés de fabrication des produits et des équipements, les opérations de SLS (surtout la centrifugation, la nanofiltration, l’osmose inverse, la filtration tangentielle) demandent de l’énergie, et de l’eau souvent purifiée. La fin de vie des machines et des médias filtrants devra donc mettre en oeuvre le tri des matériaux pour leur valorisation. Pour l’instant, la « déconstruction » n’est pas intégrée à leur conception.
Voici un aperçu de nombreuses pratiques vertes qui existent déjà dans le domaine de la séparation liquides-solides. L’utilisation de produits biosourcés renouvelables dans la filtration par exemple. Les adjuvants organiques cellulosiques sont consommés en moindre quantité que des adjuvants siliceux. Les quantités de gâteaux de filtration, biodégradables, sont alors réduites et les gâteaux sont plus concentrés en matières retenues et valorisables en énergie ou pour leur composition (méthanisation, production d’aliments pour animaux par exemple). Pour la purification de liquides et de gaz, l’utilisation des charbons actifs, produits à partir de déchets de scierie et de bois d’éclaircies permet de valoriser des sous-produits. Deux unités d’activation, l’une thermique excédentaire en énergie, l’autre chimique consommant de l’énergie, se complètent sur un même site de production. Autre exemple dans l’agro-industrie : les vinasses, sous-produits de distillerie, sont concentrées dans des décanteuses centrifuges puis séchées pour former un aliment pour animaux équivalent à de l’orge. Toutes les nouvelles fractions produites peuvent être séparées et purifiées pour former des produits. La deuxième unité, l’usine vinasses, valorise l’ensemble du produit de la distillerie, avec des opérations de séparations centrifuges, membranaires et thermiques qui limitent la consommation d’énergie, produisent peu d’effluents. La purification de nouveaux extraits végétaux profite également largement des séparations membranaires et chromatographiques. Un exemple avec l’hémicellulose, issue de son ou de paille : la chromatographie qui retient certains colorants et l’ultrafiltration à 30 kD (kilodalton) élimine des sucres simples et des sels. Concentrée deux fois, l’hémicellulose est séchée en atomiseur. En épuration des eaux, les procédés biologiques de dégradation de la charge polluante sont aussi associés aux techniques séparatives, en particulier dans les bioréacteurs à membranes. Ces procédés simplifient le procédé conventionnel à boue activée en diminuant le nombre d’étapes. Ils sont plus performants que le procédé conventionnel. On développe enfin le couplage de la séparation membranaire à d’autres épurations biologiques. Par exemple, le lit bactérien pour l’épuration par cultures fixées, d’eaux très chargées en matières organiques avec un coût énergétique faible ou la méthanisation (dégradation de la matière organique en absence d’oxygène qui se retrouve sous forme de biogaz ou sert à la croissance des micro-organismes anaérobies).
Le développement de la chimie « verte » et des procédés « durables », peut encore s’appuyer sur la démarche normalisée de l’analyse du cycle de vie (ACV) de produits ou de procédés. L’ACV, en chiffrant les impacts environnementaux d’un « produit » ou de sa fonction, d’un service ou d’un procédé depuis l’extraction des matières premières jusqu’à sa fin de vie (décharge, incinération, recyclage, etc...), vise à réduire sa « pression » sur les ressources et sur l’énergie. Elle se déroule en quatre étapes reprises dans des normes ISO 14040 et14044. Dans un premier temps, on définit l’objectif et le champ de l’analyse. On réalise ensuite un inventaire des flux entrant et sortant du système et des émissions avant de les analyser. Vient ensuite l’évaluation et le classement des impacts du cycle de vie par catégorie (épuisement des ressources, impact sur la santé humaine, acidification, atteinte des ressources renouvelables, non renouvelables, eutrophisation, changements climatiques, utilisation des terres, destruction de la couche d’ozone, effet brouillard, impacts éco-toxicologiques ou toxicologiques chez l’homme). Enfin on arrive à la dernière étape, celle de l’interprétation pour tirer des conclusions de l’analyse, isoler les intrants ou les processus des contributions principales de l’impact environnemental et vérifier les résultats, leur cohérence.
Ce séminaire a permis de faire le point sur la filtration et les techniques séparatives. Présentes dans les procédés industriels depuis des décennies, elles font toujours l’objet d’innovations qui s’appuient sur les critères de la chimie « verte » et du développement des procédés « durables ».
Paru dans Le Journal des Fluides N° 38 - Mai/Juin 2010